Geudertheim au Moyen Âge : le village du «Grand Fossé» d’Astérix a existé…

Un village coupé en deux par un large fossé, avec de chaque côté un chef ambitieux, qui rêve de réunir sous son autorité les deux moitiés… Caricature imaginée par un scénariste...


Basé sur l’article « Le village du Grand Fossé d’Astérix a existé », in Revue des Mairies, Édition Bas-Rhin, 4e trimestre 2004.

 

Un village coupé en deux par un large fossé, avec de chaque côté un chef ambitieux, qui rêve de réunir sous son autorité les deux moitiés… Caricature imaginée par un scénariste de bande dessinée « bien gaulois » ?11 Pas seulement, car au Moyen Âge, cette situation a été celle de la commune de Geudertheim.

 

Dès le début du Moyen Âge, Geudertheim fut partagé entre deux seigneuries. Le fisc (État) carolingien fut à l’origine l’unique seigneur des terres du pays. Mais dès avant le 10e siècle, le pouvoir impérial carolingien céda la moitié du village à la riche abbaye de Marmoutier. Au plus tard au 11e ou 12e, les possessions de l’abbaye passèrent sous la domination de l’Évêché de Metz, et cette moitié revint en fief, au fil des siècles jusqu’à la Révolution de 1789, à différentes grandes familles nobles alsaciennes, dont les noms résonnent encore souvent sur les crêtes vosgiennes par leurs châteaux : les Geroldseck, les Ochsenstein, les Lichtenberg, les Hanau-Lichtenberg, les Hesse-Darmstadt. Quant à la partie restée moitié d’Empire, elle fut de son côté le fief successif d’autres familles : les Mullenheim, les Wickersheim, les Wurm et enfin les Gottesheim.

 


Le fossé coupant Geudertheim en deux :
hommage à Uderzo du dessinateur alsacien de bande dessinée Christophe Carmona.

 

Le partage d’un village en deux seigneuries n’a rien d’original : une rivière partageait les biens des deux seigneurs à Bisel (Haut-Rhin), Gumbrechtshoffen ou Lembach (ces deux derniers dans le Bas-Rhin), et la route séparait les deux seigneuries à Bartenheim (Haut-Rhin).

 

Mais il s’agissait là de limites « naturelles » : l’originalité de Geudertheim est que la limite fut matérialisée par un fossé creusé de main d’homme, traversant le village en son milieu, du nord au sud. Régulièrement entretenu, car il servit aussi pour le drainage des eaux coulant des collines situées au nord du village (mais son tracé montre que pour une telle fonction de drainage, il constitue une aberration), ce fossé – aujourd’hui comblé par l’enfouissement d’une canalisation - faisait encore plusieurs mètres de largeur et près de deux mètres de profondeur au début du 20e siècle.

 

Ce fossé est connu sous le nom de Liess qui signifie « barrière, limite, clôture ». Un nom à rapprocher de celui du Scheidbächel qui séparait les deux seigneuries de Rosteig (Bas-Rhin) et qui signifie « le ruisseau de séparation ». Lorsqu’on constate que les propriétés liées au  « fief de Metz » (motte castrale des Ochsenstein, église St-Adelphe, moulin des Hanau…) étaient dans la moitié du village située à l’ouest de ce fossé, et qu’à l’inverse toutes celles liées au « fief d’Empire » (motte castrale des von Geudertheim, cour domaniale impériale, et sans doute moulin de l’abbaye de Marmoutier) étaient situées dans la moitié est, le faisceau de preuves est assez convergent pour affirmer que Geudertheim était bien un village double, séparé en deux par le fossé de la Liess.

 

Tracé du fossé sur le plan cadastral de 1925

 

En 1571, Peter Isaac Wurm, qui tenait la partie impériale, souleva la population, la moitié des habitants refusant alors de prêter serment au comte Philippe de Hanau (fief de Metz), et affirmant qu’ils étaient uniquement sujets des Wurm. Ceci confirme le fait que, même si le village était alors physiquement encore séparé par le fossé, la tutelle seigneuriale se faisait à cette date de manière indivise, chaque habitant prêtant serment à chacun des seigneurs, conjointement. Après la libération de Wurm, qui avait été arrêté, un accord fut passé et l’administration du village devint totalement commune, avec un seul prévôt, un seul bourgmestre, un seul conseil et un seul sergent, ce qui ne semble donc pas avoir été le cas avant. Le partage du village en deux allait sombrer dans l’oubli. Son fantôme ressurgit peut-être parfois au fond des urnes, les jours d’élection…

 


 

11 Voir « Astérix et le Grand Fossé » de Goscinny et Uderzo, paru en 1980.

 

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