Le site de Geudertheim dans l'Antiquité

Comme on peut le découvrir plus loin au chapitre « Origine du nom et Haut Moyen Âge », le nom de la commune de Geudertheim remonte à l’époque appelée chez nous « les grandes invasions »...


Reprise et complément de l’article paru dans la revue annuelle de la SHABE, n°33, 2005 ainsi que de l’article « Geudertheim, village gaulois ? » paru dans le Bulletin Municipal de Geudertheim, n°4, décembre 1990.

 

Comme on peut le découvrir plus loin au chapitre « Origine du nom et Haut Moyen Âge », le nom de la commune de Geudertheim remonte à l’époque appelée chez nous « les grandes invasions » et, chez nos voisins allemands, plus prosaïquement, époque des « migrations des peuples » (Völkerwanderungen). Mais le village est-il, comme certains, une création nouvelle à cette époque, ou bien a-t-il été la continuation d’une localité plus ancienne ? En clair, le village a-t-il existé avant qu’il ne porte ce nom ?

 

Les indices en notre possession semblent montrer qu’il faille effectivement confirmer que le village est bien plus ancien que la première mention de son nom autour de l’an 900, et même que les plus anciennes tombes germaniques retrouvées, qui datent des années 500 et 600 après Jésus-Christ. On peut même dire que Geudertheim peut sans doute s’enorgueillir d’avoir connu une présence humaine depuis plusieurs millénaires, même si celle-ci n’est pas aussi ancienne que dans ces villages alsaciens qui ont fourni des sites préhistoriques comme Achenheim-Hangenbieten ou Mutzig (Felsbourg).

 

Un premier indice est le fait que Geudertheim se trouve dans cette vallée fertile de la Zorn, qui est typiquement une de ces voies de pénétration de l’homme. Le nom même de cette rivière ne vient d’ailleurs pas du tout de l’allemand signifiant « colère » mais est issu d’une racine très ancienne de la langue pré-indo-européenne qui signifie « couler ». L’ancien nom de la Zorn, 2 500 ans avant notre ère, était un mot qui devait ressembler à S’r et qui voulait tout simplement dire « celle qui coule », également à l’origine des noms de la Sarre, de la Sauer et de bien d’autres cours d’eau d’Europe…1

 

Mais les premières traces tangibles de la présence humaine sont un peu plus « récentes » : à la fin des années 1990 fut ainsi découvert près du village un couteau en bronze, du type « poignard à rivets », qui peut être daté de l’époque du Bronze Moyen, c’est-à-dire entre
1 500 et 1 200 avant notre ère.

 

Vieux de 3 500 ans : un poignard à rivets de l’Âge du Bronze moyen découvert à Geudertheim

 

Cette découverte confirme ce qu’écrivait déjà en 1828 J.G. Schweighaeuser dans son fameux Antiquités de l’Alsace : « on a trouvé dans la forêt voisine des pointes de lances et d’autres instruments antiques en bronze qui, étant accompagnés de morceaux bruts du même métal, paraissent avoir été fabriqués sur place ».

 

Que des traces de l’Âge du Bronze moyen, également appelé époque de la « Civilisation des Tumulus » (du nom de ces grands tertres de pierre ou de terre, organisés en nécropoles, sous lesquels les inhumations furent faites à partir de cette période) existent à Geudertheim ne doit pas nous étonner. A quelques kilomètres à peine, vers l’ouest, la forêt de Brumath-Stephansfeld présente une importante nécropole de ce type, avec 66 tumulus. Et à peine plus loin, vers le nord, ce sont 23 nécropoles tumulaires de cette époque qui ont été identifiées dans la forêt de Haguenau, avec des spécificités telles (parures et céramiques) que les archéologues parlent d’un « groupe culturel haguenovien ».2

 

Le même secteur où ce poignard à rivets fut trouvé a également révélé des monnaies gauloises, du type « potin au sanglier » et des monnaies d’argent du type quinaire.

 

De plus, aux portes de Geudertheim, sur une toute petite parcelle, nous avons pu ramasser il y a quelques années de nombreux tessons de poterie anciens, dont quelques uns à la forme très spécifique : ils datent de l'âge du Fer (époque dite de La Tène), c'est à dire de la période qui va de 450 avant Jésus-Christ aux « Gaulois ».

 

Nos bords de la Zorn furent donc de façon certaine occupés, de façon permanente ou ponctuelle, il y a plus de 3 200 ans, à partir de l’Âge du Bronze et jusqu’à l’époque gauloise, c’est-à-dire l’Âge du Fer (à partir de 800 av. J.-C.). Si la configuration des lieux n’a sans doute plus grand chose à voir avec celle de l’époque, on peut cependant supposer qu’il a pu y avoir dans les environs un gué, qui favorisait le passage nord-sud.

 

Une communauté stable exista ici très certainement à l’époque romaine. Brumath, le chef-lieu de canton, était alors Brocomagos, qui après avoir été probablement une cité de la tribu gauloise des Médiomatriques, fut ensuite la capitale de celle des Triboques (des Celtes venus de Germanie et installés sur la rive gauche du Rhin après la victoire de Jules César sur le Germain Arioviste en 58 av. J.-C.), avant de devenir la capitale civile de l’Alsace romaine, à l’époque où Strasbourg n’était encore qu’une ville de garnison.3

 

Le tracé de la voie romaine vers le Rhin, une des cinq qui partaient de Brumath, ne se retrouve pas intégralement sur celui de la D 47 qui passe par Geudertheim, pour différentes raisons qu’il serait trop long d’exposer ici. Il est cependant parfaitement identifiable grâce à la toponymie : s’il correspond à ladite D 47 à la sortie de Brumath vers l’Est, il se prolonge ensuite à Geudertheim par le chemin dit alter Brumather weg, puis passe par la rue Sainte-Maison pour continuer ensuite par la rue Dietweg dont le tracé pique ensuite vers Bietlenheim et Weyersheim. Si alter Brumather Weg est parlant (il signifie « vieux chemin de Brumath ») Dietweg l’est moins. Mais ce mot signifie en fait « chemin du peuple », de l’allemand Weg = chemin et de l’ancien mot Diet < Thiuda, un synonyme de Volk (la langue allemande Deutsch étant la langue du peuple, qui lui est « compréhensible », en allemand deutlich4 ). Dietweg signifie donc littéralement « voie publique », en latin via publica… l’ancienne voie romaine.

 

 Des découvertes éparses, faites depuis le 19e siècle, certes de peu d’importance, ont également confirmé cette occupation du site de Geudertheim à l’époque romaine : Schweighaeuser, dans son ouvrage susmentionné, soulignait aussi que « les médailles romaines sont très fréquentes » aux environs du village.

 

A partir du 3e siècle après J.-C., la pression des « barbares » se fit de plus en plus forte sur l’Empire romain. Leurs incursions furent d’abord ponctuelles, et de petits groupes s’installèrent graduellement dans certaines régions. Des Germains servirent même d’auxiliaires dans l’armée romaine, pour le cas échéant combattre les incursions d’autres Germains. Mais à partir de 406 ce fut l’effondrement de l’Empire : Burgondes, Francs, Alamans franchirent le Rhin en masse, ces derniers s’installant durablement dans notre plaine du Rhin. Plus au Nord et plus à l’Ouest, ce sont les Francs qui furent les conquérants. Les rivalités entre tribus furent inévitables, et la bataille de Tolbiac (Zülpich près de Cologne) vit le triomphe du roi des Francs Clovis qui soumit les Alamans et l’Alsace.

 

De cette époque date l’important cimetière mérovingien de Geudertheim, daté des 6e-7e siècles, mis au jour à plusieurs reprises, de 1902 à 1977, et qui se situait entre la rue Dietweg et la route de Bietlenheim.

 

Collier en perles de verre découvert dans une tombe
du cimetière mérovingien de Geudertheim

 

A cette nouvelle communauté germanique, il ne manquait plus qu’un nom…


1 Voir Michel KNITTEL, « La Zorn, une étymologie qui coule de source : Un voyage linguistique aux origines de la civilisation européenne » in Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Brumath et Environs, n° 31, Décembre 2003.

2 Voir L’Alsace celtique, 20 ans de recherches, Musée d’Unterlinden, Musée Historique de Haguenau, Musée Historique de Mulhouse, Colmar 1989.

3 Sur le nom de Brumath/Brocomagos, voir Michel KNITTEL, « Brumath, Brommes, Brocomagus : Blaireau, bruyère ou guerrier gaulois ? Répertoire analytique des toponymes celtes du type –magos/mag(h)/ma(e)z » in Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Brumath et Environs, n° 32, Décembre 2004.

4 Deutsch vient en effet du moyen haut allemand (mha) diutisch/diutsch signifiant à l’origine « dans la langue du peuple : zuerst von der sprache als einer sprache des volkes (thiuda) ». Et le mot deuten (signifier) vient du mha diuten/tiuden, littéralement « rendre compréhensible pour le peuple, exprimer dans la langue du peuple » : eigentl. dem volke verständlich machen, in der volkssprache auslegen. Source : Matthias Lexer, Mittelhochdeutsches Handwörterbuch, 3# Bde., Leipzig 1872 – 1878, rééd. Stuttgart 1992.

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